11 avril 2011

La capture de Laurent Gbagbo

Le 11 avril 2011, Laurent Gbagbo est capturé par les forces de son rival Alassane Ouattara, puissamment assistées par l'armée française.

La capture de l'ancien président de la Côte d'Ivoire clôt dix jours de combats dans l'immense agglomération d'Abidjan, capitale de facto du pays.

Elle tranche de façon brutale le noeud gordien de l'élection présidentielle du 28 novembre 2010, remportée par le candidat de l'opposition face au président sortant.

Entre élections et guerres civiles

Jusqu'en 1990, la Côte d'Ivoire avait connu une rare stabilité sous la férule du «Vieux», Félix Houphouët-Boigny, et de son parti unique, le Parti Démocratique de Côte d'Ivoire (PDCI), au sein duquel étaient représentées les soixante tribus du pays. Elle paraissait sur le point de devenir le premier pays développé d'Afrique noire.

Suite à la demande pressante de François Mitterrand, au discours de la Baule, Félix Houphouët-Boigny se résigne à introduire le multipartisme. C'est qu'il a besoin des bailleurs internationaux.

Après sa mort, en 1993, les nordistes se détachent du parti unique et fondent un parti concurrent, le Rassemblement des Républicains (RDR). Ils se donnent un leader en la personne d'Alassane Dramane Ouattara («ADO»), haut fonctionnaire international et dernier Premier ministre d'Houphouët-Boigny.

C'en est fini de l'équilibre précaire entre les ethnies et notamment entre le nord, pauvre et à dominante musulmane, et le sud, prospère et à dominante chrétienne.

Laurent Gbagbo, sudiste et catholique, historien et universitaire marxiste, est élu dans des conditions équivoques en 2000, grâce à la mise à l'écart d'Alassane Ouattara, devenu entretemps directeur général adjoint du Fonds Monétaire International (FMI).

Un leader étudiant de 28 ans, Guillaume Soro, catholique du nord, rejoint le camp d'Alassane Ouattara et prend la tête du mouvement des Forces nouvelles. Avec cette armée de bric et de broc, il tente en 2002 de renverser Gbagbo à Abidjan même mais il en est empêché par l'armée française, qui n'a jamais cessé d'être présente dans le pays depuis son indépendance.

Les Forces nouvelles se replient dans le nord et sont renforcées par des bandes armées venues du Liberia voisin. Il s'ensuit massacres, exactions, viols. Les forces françaises de l'opération «Licorne» s'interposent entre les deux camps. Le pays est désormais coupé en deux. La zone cacaoyère, le port de San Pedro par lequel est exporté le cacao, et la métropole d'Abjdjan restent sous le contrôle du président légal.

Par les accords surprise d'Ouagadougou, en 2007, nordistes et sudistes feignent de se réconcilier. Guillaume Soro devient le Premier ministre en titre de Laurent Gbagbo mais se réserve l'administration de sa zone d'influence, le nord et la région de Bouaké.

Pressé par la «communauté internationale», Laurent Gbagbo se résout à organiser de nouvelles élections présidentielles. Son conseiller en communication, un proche de son ami socialiste Dominique Strauss-Kahn, le convainc qu'il les remportera haut la main.

Les élections se jouent non sur des projets rivaux mais sur l'appartenance ethnique. Nordistes et immigrés musulmans du sud votent très massivement pour «ADO».

Ayant négligé de faire campagne et de mobiliser son camp, Gbagbo est assez clairement battu mais il refuse de s'incliner et conteste le résultat des élections.

Dénouement et perspectives

Alassane Ouattara, qui a fait de l'inusable Guillaume Soro son propre Premier ministre, s'enferme avec lui dans l'hôtel du Golf d'Abidjan, sous la protection des troupes de l'ONU. Il attend que les choses se passent.

Les bailleurs de fonds internationaux prennent son parti et commencent méthodiquement à assécher les finances publiques de la Côte d'Ivoire. Gbagbo n'a bientôt plus les moyens de payer ses troupes. À l'opposé, les Forces républicaines de Soro et Ouattara sont généreusement équipées par la France. Il n'en faudra pas moins une intervention directe de celle-ci pour permettre enfin à Ouattara d'occuper pour de bon la fonction présidentielle.

La capture de Gbagbo et l'installation d'Ouattara à sa place permettent à la «communauté internationale», autrement dit aux présidents français et américain ainsi qu'au secrétaire général de l'ONU, de pavoiser.

D'aucuns voient dans ce triomphe de la voie démocratique une promesse pour toute l'Afrique subsaharienne.

On peut espérer qu'Alassane Ouattara, économiste international, réputé intègre autant que compétent, saura effacer les traces de quinze ans de conflits civils. Il sera servi dans sa tâche par le fait que le poumon économique de la Côte d'Ivoire, la zone cacaoyère, n'a pas été affectée par les désordres.

Mais on peut craindre que ce président de 69 ans soit vite dépassé par les enjeux de pouvoir et la pression de ses partisans venus du nord et désormais maîtres d'Abidjan. Il est vrai qu'il est plus à l'aise dans la haute société de Washington qu'à serrer des mains dans les rues de son pays. Il n'a pas non plus manifesté un grand courage à l'hôtel du Golf, dans les mois qui ont suivi son élection.

Sans doute devra-t-il avoir l'oeil sur son fringant Premier ministre et chef des armées Guillaume Soro (38 ans), qui connaît, lui, l'art de manier les foules, et par sa double appartenance au nord et à la religion catholique, peut rapprocher tous les Ivoiriens.

Leçons d'une intervention

On peut déplorer le caractère proprement colonial de la mobilisation internationale qui a conduit à imposer le résultat des urnes au prix d'une brève guerre civile et d'une intervention militaire étrangère. Jules Ferry, apôtre de la «mission civilisatrice de laFrance», aurait approuvé cette façon de faire.

Enfin, on peut raisonnablement douter que l'éviction de Gbagbo serve de leçon aux autocrates africains qui seraient tentés de s'accrocher au pouvoir.

Inculpé pour crimes contre l'humanité, Omar El Béchir continue paisiblement de présider le Soudan. Yoweri Museveni vient de se faire réélire à 86 ans pour une énième fois à la tête de l'Ouganda. Robert Mugabe, qui a le même âge, se dispose à une nouvelle réélection à la tête du Zimbabwe, pays qu'il a réduit à la famine. Abdoulaye Wade, même âge, ne désespère pas d'imposer son fils à sa succession à la tête du Sénégal, pays qu'il a appauvri avec constance etc, etc.

Joseph Savès
Publié ou mis à jour le : 2018-11-27 10:50:14

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