Chypre

L'île de Vénus : adepte de la guerre plus que de l'amour

Avec 9 250 km2, Chypre est à peine plus étendue que la Corse. Située à 85 km seulement de la Syrie, l'île appartient géographiquement au Proche-Orient. Elle tire peut-être son nom du cyprès (Cuparissos en grec), cet arbre ayant fait l'objet d'un culte sur l'île. Elle a donné son nom au cuivre, dont son sous-sol fut autrefois riche. Ce minerai lui a valu de jouer un grand rôle au IIe millénaire av. J.-C., à l'âge du Bronze.

Par son peuplement majoritairement hellénophone et sa situation stratégique entre la Turquie, le Levant et le canal de Suez, l'île a connu un destin agité au cours du dernier siècle et, bien que formellement rattachée à l'Union européenne et à la zone euro (mais pas à l'OTAN), elle est l'objet depuis 1974 d'une scission entre deux États, en complète violation du droit international... 

Alban Dignat

L'île de Vénus

Figure féminine et déesse nue à l'enfant, terre cuite du Bronze ancien (Chypre, 1600-1050 av. J.-C.) Par l'intermédiaire des Phéniciens qui établissent de petits royaumes sur l'île, elle exporte ses outils et ses armes, en particulier les « poignards chypriotes » dans tout le bassin méditerranéen.

Dans la deuxième moitié du IIe millénaire, des Mycéniens abordent à leur tour l'île et se posent en concurrents des Phéniciens... Bien plus tard, les Grecs, en souvenir de cette haute Antiquité, situeront sur l'île la demeure de la déesse de l'amour et de la beauté, Aphrodite (Vénus).

Au cours du Ier millénaire av. J.-C., l'île connaît beaucoup de vicissitudes, avec l'irruption des Assyriens puis des Égyptiens, enfin des Perses. Elle est occupée par les troupes d'Alexandre le Grand puis tombe dans l'escarcelle de Ptolémée, l'héritier de ce dernier en Égypte. Pour finir, elle devient province romaine en 58 av. J.-C. Elle va dès lors rester dans l'orbite de Rome puis de Byzance pendant plus de mille ans, jusqu'à l'arrivée des croisés.

Les croisés à Chypre

Richard Coeur de Lion, à l'époque des croisades, enlève l'île à l'empereur de Byzance et la donne à Gui de Lusignan, ex-roi de Jérusalem, sans doute pour le récompenser d'avoir perdu son royaume dans la guerre contre le sultan Saladin ! Beaucoup plus tard, en 1489, Catherine Coaro, veuve de Jacques II de Lusignan, dernier souverain de la lignée, vend l'île à la République de Venise !

L'île de Vénus est alors connue pour un  célèbre vin doux, le malvoisie, ainsi que pour ses ortolans et son sucre de canne. Mal défendus par la Sérénissime République malgré le légendaire Othello dont s'est inspiré Shakespeare, les habitants pratiquaient par ailleurs la piraterie.

Le 9 septembre 1570, les Turc enlèvent Nicosie, capitale de Chypre. Cette conquête va susciter une croisade à l'initiative du pape Pie V et conduire à une cinglante défaite de la flotte ottomane devant Lépante. Mais cela n'empêchera pas l'île de devenir pour trois longs siècles une dépendance misérable de l'empire ottoman.

De l'occupation turque à l'occupation britannique

Après l'ouverture du canal de Suez, le Premier ministre britannique Benjamin Disraeli décida de faire de l'île ottomane une base arrière pour surveiller le trafic maritime à travers le canal. C'est ainsi que le sultan d'Istamboul, contraint et forcé, « prêta » l'île aux Britanniques le 4 juin 1878. Chypre devint en 1914 un protectorat puis en 1925 une colonie de la Couronne.

Georgios Grivas (5 juillet 1898, Nicosie ; 27 janvier 1974, Limassol) Dès les années 1930, un mouvement dénommé EOKA (Organisation nationale de combat chypriote) se développa dans la population hellénophone en faveur du rattachement de l'île à la Grèce, l'Enosis ( Eνωσις - Union). Le colonel Geórgios Grívas, placé à sa tête, entama la guerilla contre les forces britanniques. 

N'ayant nulle envie de s'immiscer dans le conflit entre la majorité hellénophone et la minorité turque qui s'opposait à l'Enosis, les Britanniques amènent les Chypriotes à conclure un accord à Londres le 19 février 1959, validé par l'URSS, la Grèce et la Turquie : il est convenu que l'île deviendra indépendante avec un Président élu par la communauté grecque (ce sera l'ethnarque orthodoxe de l'île, Mgr Makarios III) et un vice-Président élu par la communauté turque (Fasil Füçük).

Il est convenu aussi que le Parlement sera composé à 70% de Grecs et à 30% de Turcs et que la Garde nationale sera encadrée par des officiers grecs. L'indépendance prend effet le 16 août 1960.

De l'indépendance à la partition

Makarios III, premier président de la République chypriote (13 août 1913, Paphos ; 3 août 1977, Nicosie)Les troubles entre les deux communautés ne cessent pas pour autant, encouragés par les puissances étrangères. Sensible à la situation stratégique de l'île, Washington encourage les partisans de l'Enosis avec l'espoir d'arrimer l'île à la Grèce et donc à l'OTAN. L'URSS, de son côté, soutient le président Makarios, celui-ci ayant compris que l'Enosis entraînerait ipso facto une partition de l'île.

En 1964, des heurts entre les deux communautés entraînent un bombardement par l'aviation turque. L'ONU réagit aussitôt en envoyant des Casques bleus s'interposer entre les communautés.

Les craintes de Mgr Makarios apparaissent plus que jamais fondées. Mais son orientation de plus en plus prosoviétique a l'heur de déplaire tout autant à Washington qu'aux colonels grecs qui se sont emparés du pouvoir à Athènes le 21 avril 1967, ont aboli la monarchie et exercent depuis lors un pouvoir dictatorial violemment anticommuniste. 

En 1971, le colonel Grivas (74 ans) revient clandestinement dans l'île et relance la guerilla avec la complicité des officiers grecs de la Garde nationale, qui sont aux ordres d'Athènes et soutiennent l'Enosis

Le 15 juillet 1974, la Garde nationale chypriote fomente un coup d'État contre le président Makarios qui prend la fuite. Le lendemain, un certain Nicos Sampson s'empare de la présidence et proclame l'Enosis.

Les Turcs, prétextant une menace pour les habitants turcophones, envahissent le nord de l'île dès le 20 juillet 1974. Ils procèdent aussitôt à l'expulsion de 250 000 Grecs vers le sud et, le 13 février 1975, en violation du droit international, proclament dans leur zone d'occupation un État autonome tout en affirmant que leur objectif à terme est  « l'union avec la communauté grecque au sein d'une structure fédérale sur la base de deux zones géographiques ».

À Athènes, disqualifié par cet échec cinglant, le régime des colonels, ou « dictature du 21 avril », allait céder le pouvoir à un régime démocratique dès le 24 juillet 1974.

Incongruités européennes

Depuis cette date, à Chypre, les deux communautés vivent séparées, de part et d'autre d'une « ligne verte » (ou ligne Attila !), sous surveillance des Casques bleus de l'ONU.

À la République de Chypre (hellénophone) s'oppose la République turque de Chypre du nord, reconnue seulement par la Turquie. La première compte environ 700 000 habitants, la seconde 200 000, dont 60 000 colons turcs venus d'Anatolie et 40 000 militaires turcs.

Les Chypriotes grecs ont rejeté massivement un compromis fédéral proposé par l'ONU lors du référendum du 24 avril 2004. Faisant fi de cette impasse politique, l'Union européenne a accueilli la République de Chypre en son sein dès la semaine suivante, le 1er mai 2004.

Ainsi l'île proche-orientale est-elle devenue le premier État de l'Union extérieur à l'Europe géographique. Mieux encore, Chypre a obtenu d'entrer dans la zone euro le 1er janvier 2008, bien que tout un chacun put constater que l'île était déjà devenue un refuge pour les fortunes illicites des riches Libanais voisins et surtout des oligarques russes.

Meurtrie par la crise de l'euro, l'île est passée comme la Grèce et le Portugal sous le protectorat d'une « troïka » occidentale réunissant le FMI, la Banque Centrale Européenne et la Commission européenne.

Doutant de leur capacité à se rétablir eux-mêmes, les électeurs hellénophones ont hissé à la présidence le 24 février 2013 un conservateur néolibéral, Nicos Anastasiades, partisan d'un arrimage définitif à la monnaie unique, fut-ce en sacrifiant l'économie nationale.


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• 15 juillet 1974 : coup d'État et invasion turque
Publié ou mis à jour le : 2024-02-25 18:49:10

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