L'énigme Damiens

Nous avons lu Mourir à l'ombre des Lumières, l'énigme Damiens, par Marion Sigaut (Jacqueline Chambon / Actes Sud, 2010, 24 euros). Ce roman historique à l'écriture légère se lit avec délectation et d'une traite.

Marion Sigaut, écrivain et historienne, passionnée par le XVIIIe siècle, ou siècle des Lumières, a déjà à son actif une belle étude historique : La Marche rouge, Les Enfants de l'Hôpital général. Elle nous offre ici non pas un livre d'histoire mais un superbe récit romanesque autour de l'attentat de Damiens.

Le livre se présente comme les mémoires apocryphes d'un magistrat ayant eu à juger François Damiens, un beau et ombrageux domestique d'une quarantaine d'années qui blessa d'un coup de canif le roi Louis XV un soir de janvier 1757.

Bien que la blessure fût bénigne, le domestique fut soumis à une peine d'une extrême dureté. Les magistrats en charge des interrogatoires et du procès outrepassèrent la volonté du roi en torturant François Damiens de toutes les façons possibles et en l'écartelant le 28 mars 1757, comme Ravaillac un siècle et demi plus tôt. Faute d'expérience, ils fouillèrent dans les archives pour reconstituer ces pratiques d'un autre âge.

L'outrance de sa peine révulsa une opinion publique pourtant habituée à bien des horreurs. Elle a intrigué aussi Marion Sigaut qui a cherché dans les documents de l'époque les motivations cachées des magistrats.

C'est ainsi que, faisant parler le prince Emmanuel de Croÿe, l'un des principaux enquêteurs, Marion Sigaut  revient sur les aspects sombres d'un siècle des Lumières qui commence avec le Régent et les spéculations de John Law.

Elle évoque aussi bien les turpitudes du prince de Conti, le «Singe vert», que les manigances des parlementaires, soucieux de leurs privilèges et de leur pouvoir, et les petites lâchetés des intellectuels de l'époque, tel Voltaire... Elle développe surtout la thèse d'un complot contre la monarchie que Damiens, domestique chez différents magistrats, aurait tenté à sa manière de mettre à jour.

Le livre, écrit à la première personne, est accessible à tous les publics et ne nécessite aucune connaissance préalable pour aborder l'époque, son atmosphère et sa maîtrise du beau langage.

La performance de Marion Sigaut rappelle celle d'une autre mémorialiste, Françoise Chandernagor, auteur de L'Allée du roi (1981), mémoires apocryphes de Mme de Maintenon. On lui souhaite le même succès auprès du public.