La déportation pour motif d'homosexualité en France

Débats d'histoire et enjeux de mémoire

Mickaël Bertrand (Mémoire Active,  2011)

La déportation pour motif d'homosexualité en France

Depuis plusieurs décennies, militants et associations homosexuelles n’ont eu de cesse de faire reconnaître la réalité historique d’une persécution orchestrée à l’échelle européenne par les nazis.

Pourtant, jusqu’à une date récente, nous ignorions jusqu’au nombre exact des victimes de nationalité française concernées par cette tragédie. Des chiffres aussi surprenants qu’improbables ont été avancés, annonçant parfois des milliers, voire des dizaines de milliers d’homosexuels français conduits dans les camps au motif de leur homosexualité.

Des historiens se sont donc penchés sur cet aspect encore trop méconnu de l’histoire et livrent aujourd’hui leurs premières conclusions concernant les chiffres et la réalité quotidienne de ces hommes qu’on destinait à porter le triangle rose dans les camps de concentration.

En amont et en aval des arrestations, ce sont les parcours tragiques de plusieurs dizaines d’hommes qui sont exhumés des archives par les différents contributeurs de cette étude collective, fondée sur une approche résolument nationale.

Depuis les recherches menées en 2001, il était acquis que 210 Français avaient été arrêtés, puis déportés par les nazis, au titre du motif 175 (homosexualité). Dans cet ouvrage-ci, les historiens démontrent que ce sont en fait 62 déportés qui ont été envoyés dans des prisons et des camps allemands en raison de leur homosexualité (réelle ou supposée).

La marge d’erreur avec le chiffre précédent est le résultat d’une vérification minutieuse de l’origine géographique des noms relevés parmi les détenus du camp de concentration de Natzweiler (Bas-Rhin). Les auteurs ne se contentent pas cependant de corriger un chiffre à la lumière de nouvelles sources. Ils proposent également une nouvelle perspective de lecture du phénomène concentrationnaire des homosexuels français. Ils nous montrent en effet que notre attention a peut-être été trop longtemps focalisée sur le cas des homosexuels alsaciens et mosellans au détriment de ceux résidant en zones occupées et au sein du Reich.

Sur les 62 déportés français arrêtés pour motif d’homosexualité :
- 7 sont arrêtés en zones occupées dont • 6 déportés comme «politiques» à Buchenwald et Neuengamme et • 1 incacéré en Allemagne,
- 22 arrêtés en Alsace-Moselle, territoires annexés au Reich dont • 8 internés à Schirmeck • 10 internés à Natzweiler • 4 incarcérés en Allemagne,
- 32 arrêtés au sein du Reich (hors l’Alsace-Moselle) dont • 30 internés dans des prisons allemandes • 2 internés à Natzweiler - 1 arrêté dans un lieu indéterminé et transféré à Natzweiler.

Au moins 13 trouvent la mort en déportation dont 12 dans un camp de concentration ou un Kommando extérieur. La déportation pour motif d’homosexualité n’a pas la même signification selon le lieu d’arrestation (Reich allemand, Alsace-Moselle annexées ou encore France occupée).

La problématique se pose également en des termes similaires concernant la pertinence supposée du motif d’homosexualité utilisée par les nazis. Les déportés arborant le triangle rose ont par exemple pu faire l’objet d’une dénonciation calomnieuse qui ne serait pas forcément révélatrice de leurs réelles préférences sexuelles. Un homosexuel déporté n’est pas un déporté homosexuel !...

Nous savons maintenant que les déportés homosexuels français sont en fait beaucoup moins nombreux que nous ne l’avions imaginé jusqu’à présent. Cela ne signifie pas pour autant que des centaines d’homosexuels français n’ont pas été déportés en tant que juifs, communistes et/ou résistants. Cette dimension nécessite de s’interroger sur les modalités pratiques de l’arrestation.

C’est pourquoi les auteurs de cet ouvrage se sont également intéressés à la question du fichage des homosexuels. Leurs travaux montrent notamment que depuis les années 1920, de multiples administrations se sont confrontées à la difficulté de recenser efficacement des individus soupçonnés d’homosexualité. D’une part, la loi ne les autorisait à perpétuer cette pratique que dans des cas très précis et limités. D’autre part, il était extrêmement compliqué d’entretenir et d’actualiser de tels documents. Ainsi, des esquisses de fichiers à l’échelle locale ont certes été identifiées dans quelques archives, mais elles ne semblent pas avoir fait l’objet d’une systématisation dans le temps et dans l’espace.

Par conséquent, il devient difficile d’affirmer, comme cela a été le cas durant des décennies, que les homosexuels français ont été massivement déportés avec l’aide d’un fichier français qui aurait été transmis aux nazis. L’existence de tels documents demeure incertaine et, dans le cadre de nos connaissances actuelles, limitée à quelques zones géographiques précises. De plus, si une communication d’informations avait été systématique entre les services de police, on peut supposer que le bilan des victimes aurait été bien plus lourd qu’il ne l’est actuellement.

Mickaël Bertrand

Voir : Homophilie, homophobie

Publié ou mis à jour le : 10/06/2016 09:42:47

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