1559

La Renaissance vue par Mme de Lafayette

Objet de polémique sous la présidence de Nicolas Sarkozy, La Princesse de Clèves demeure toujours d'actualité. Dans ce roman psychologique publié en 1678, sous le règne de Louis XIV, Mme de Lafayette évoque de façon délicieuse et subtile la vie de cour à la fin de la Renaissance française...

On est dans les dernières années du règne de Henri II et la romancière raconte la mort tragique du roi (1559). Par un retour en arrière, à l'époque de François Ier (mort en 1547), elle rappelle aussi le conflit entre Anne de Pisseleu, duchesse d'Étampes, maîtresse de François 1er, et sa rivale Diane de Poitiers, plus tard duchesse de Valentinois, et ses conséquences malheureuses pour la diplomatie française.

Peu amène pour Diane de Poitiers (ou de Brézé), Mme de Lafayette relaie la rumeur selon laquelle elle aurait été la maîtresse de François Ier avant de l'être de son fils, et qu'elle aurait trompé ce dernier avec des gentilshommes tel le maréchal de Brissac.

Extraits de La Princesse de Clèves :

La magnificence et la galanterie n'ont jamais paru en France avec tant d'éclat que dans les dernières années du règne de Henri second. Ce prince était galant, bien fait et amoureux ; quoique sa passion pour Diane de Poitiers, duchesse de Valentinois, eût commencé il y avait plus de vingt ans, elle n'en était pas moins violente, et il n'en donnait pas des témoignages moins éclatants.

Deux rivales autour de François Ier (avant 1547)

(...) Mais pour revenir à madame de Valentinois, vous savez qu'elle s'appelle Diane de Poitiers ; sa maison est très illustre, elle vient des anciens ducs d'Aquitaine, son aïeule était fille naturelle de Louis XI, et enfin il n'y a rien que de grand dans sa naissance. Saint-Vallier, son père, se trouva embarrassé dans l'affaire du connétable de Bourbon, dont vous avez ouï parler. Il fut condamné à avoir la tête tranchée, et conduit sur l'échafaud. Sa fille, dont la beauté était admirable, et qui avait déjà plu au feu roi, fit si bien (je ne sais par quels moyens) qu'elle obtint la vie de son père. On lui porta sa grâce, comme il n'attendait que le coup de la mort ; mais la peur l'avait tellement saisi, qu'il n'avait plus de connaissance, et il mourut peu de jours après. Sa fille parut à la cour comme la maîtresse du roi. Le voyage d'Italie et la prison de ce prince interrompirent cette passion. Lorsqu'il revint d'Espagne, et que mademoiselle la régente alla au-devant de lui à Bayonne, elle mena toutes ses filles, parmi lesquelles était mademoiselle de Pisseleu, qui a été depuis la duchesse d'Étampes. Le roi en devint amoureux. Elle était inférieure en naissance, en esprit et en beauté à madame de Valentinois, et elle n'avait au-dessus d'elle que l'avantage de la grande jeunesse. Je lui ai ouï dire plusieurs fois qu'elle était née le jour que Diane de Poitiers avait été mariée ; la haine le lui faisait dire, et non pas la vérité : car je suis bien trompée, si la duchesse de Valentinois n'épousa monsieur de Brézé, grand sénéchal de Normandie, dans le même temps que le roi devint amoureux de madame d'Étampes. Jamais il n'y a eu une si grande haine que l'a été celle de ces deux femmes. La duchesse de Valentinois ne pouvait pardonner à madame d'Étampes de lui avoir ôté le titre de maîtresse du roi. Madame d'Étampes avait une jalousie violente contre madame de Valentinois, parce que le roi conservait un commerce avec elle. Ce prince n'avait pas une fidélité exacte pour ses maîtresses ; il y en avait toujours une qui avait le titre et les honneurs ; mais les dames que l'on appelait de la petite bande le partageaient tour à tour. La perte du dauphin, son fils, qui mourut à Tournon, et que l'on crut empoisonné, lui donna une sensible affliction. Il n'avait pas la même tendresse, ni le même goût pour son second fils, qui règne présentement ; il ne lui trouvait pas assez de hardiesse, ni assez de vivacité. Il s'en plaignit un jour à madame de Valentinois, et elle lui dit qu'elle voulait le faire devenir amoureux d'elle, pour le rendre plus vif et plus agréable. Elle y réussit comme vous le voyez ; il y a plus de vingt ans que cette passion dure, sans qu'elle ait été altérée ni par le temps, ni par les obstacles.

Le feu roi s'y opposa d'abord ; et soit qu'il eût encore assez d'amour pour madame de Valentinois pour avoir de la jalousie, ou qu'il fût poussé par la duchesse d'Étampes, qui était au désespoir que monsieur le dauphin fût attaché à son ennemie, il est certain qu'il vit cette passion avec une colère et un chagrin dont il donnait tous les jours des marques. Son fils ne craignit ni sa colère, ni sa haine, et rien ne put l'obliger à diminuer son attachement, ni à le cacher ; il fallut que le roi s'accoutumât à le souffrir. Aussi cette opposition à ses volontés l'éloigna encore de lui, et l'attacha davantage au duc d'Orléans, son troisième fils. C'était un prince bien fait, beau, plein de feu et d'ambition, d'une jeunesse fougueuse, qui avait besoin d'être modéré, mais qui eût fait aussi un prince d'une grande élévation, si l'âge eût mûri son esprit.

Le rang d'aîné qu'avait le dauphin [futur Henri II], et la faveur du roi qu'avait le duc d'Orléans, faisaient entre eux une sorte d'émulation, qui allait jusqu'à la haine. Cette émulation avait commencé dès leur enfance, et s'était toujours conservée. Lorsque l'Empereur [Charles-Quint] passa en France, il donna une préférence entière au duc d'Orléans sur monsieur le dauphin, qui la ressentit si vivement, que, comme cet Empereur était à Chantilly, il voulut obliger monsieur le connétable [Anne de Montmorency, conseiller préféré du dauphin, le futur Henri II] à l'arrêter, sans attendre le commandement du roi. Monsieur le connétable ne le voulut pas, le roi le blâma dans la suite, de n'avoir pas suivi le conseil de son fils ; et lorsqu'il l'éloigna de la cour, cette raison y eut beaucoup de part.

La division des deux frères donna la pensée à la duchesse d'Étampes de s'appuyer de monsieur le duc d'Orléans, pour la soutenir auprès du roi contre madame de Valentinois. Elle y réussit : ce prince, sans être amoureux d'elle, n'entra guère moins dans ses intérêts, que le dauphin était dans ceux de madame de Valentinois. Cela fit deux cabales dans la cour, telles que vous pouvez vous les imaginer ; mais ces intrigues ne se bornèrent pas seulement à des démêlés de femmes.

L'Empereur, qui avait conservé de l'amitié pour le duc d'Orléans, avait offert plusieurs fois de lui remettre le duché de Milan. Dans les propositions qui se firent depuis pour la paix, il faisait espérer de lui donner les dix-sept provinces, et de lui faire épouser sa fille. Monsieur le dauphin ne souhaitait ni la paix, ni ce mariage. Il se servit de monsieur le connétable, qu'il a toujours aimé, pour faire voir au roi de quelle importance il était de ne pas donner à son successeur un frère aussi puissant que le serait un duc d'Orléans, avec l'alliance de l'Empereur et les dix-sept provinces. Monsieur le connétable entra d'autant mieux dans les sentiments de monsieur le dauphin, qu'il s'opposait par là à ceux de madame d'Étampes, qui était son ennemie déclarée, et qui souhaitait ardemment l'élévation de monsieur le duc d'Orléans.

Monsieur le dauphin commandait alors l'armée du roi en Champagne et avait réduit celle de l'Empereur en une telle extrémité, qu'elle eût péri entièrement, si la duchesse d'Étampes, craignant que de trop grands avantages ne nous fissent refuser la paix et l'alliance de l'Empereur pour monsieur le duc d'Orléans, n'eût fait secrètement avertir les ennemis de surprendre Épernay et Château-Thierry, qui étaient pleins de vivres. Ils le firent, et sauvèrent par ce moyen toute leur armée.

Cette duchesse ne jouit pas longtemps du succès de sa trahison. Peu après, monsieur le duc d'Orléans mourut à Farmoutier, d'une espèce de maladie contagieuse. Il aimait une des plus belles femmes de la cour, et en était aimé. Je ne vous la nommerai pas, parce qu'elle a vécu depuis avec tant de sagesse et qu'elle a même caché avec tant de soin la passion qu'elle avait pour ce prince, qu'elle a mérité que l'on conserve sa réputation. Le hasard fit qu'elle reçut la nouvelle de la mort de son mari, le même jour qu'elle apprit celle de monsieur d'Orléans ; de sorte qu'elle eut ce prétexte pour cacher sa véritable affliction, sans avoir la peine de se contraindre.

Le roi ne survécut guère le prince son fils, il mourut deux ans après. Il recommanda à monsieur le dauphin de se servir du cardinal de Tournon et de l'amiral d'Annebauld, et ne parla point de monsieur le connétable, qui était pour lors relégué à Chantilly. Ce fut néanmoins la première chose que fit le roi, son fils, de le rappeler, et de lui donner le gouvernement des affaires.

Madame d'Étampes fut chassée, et reçut tous les mauvais traitements qu'elle pouvait attendre d'une ennemie toute-puissante ; la duchesse de Valentinois se vengea alors pleinement, et de cette duchesse et de tous ceux qui lui avaient déplu. Son pouvoir parut plus absolu sur l'esprit du roi, qu'il ne paraissait encore pendant qu'il était dauphin. Depuis douze ans que ce prince règne, elle est maîtresse absolue de toutes choses ; elle dispose des charges et des affaires ; elle a fait chasser le cardinal de Tournon, le chancelier Ollivier, et Villeroy. Ceux qui ont voulu éclairer le roi sur sa conduite ont péri dans cette entreprise. Le comte de Taix, grand maître de l'artillerie, qui ne l'aimait pas, ne put s'empêcher de parler de ses galanteries, et surtout de celle du comte de Brissac, dont le roi avait déjà eu beaucoup de jalousie ; néanmoins elle fit si bien, que le comte de Taix fut disgracié ; on lui ôta sa charge ; et, ce qui est presque incroyable, elle la fit donner au comte de Brissac, et l'a fait ensuite maréchal de France. La jalousie du roi augmenta néanmoins d'une telle sorte, qu'il ne put souffrir que ce maréchal demeurât à la cour ; mais la jalousie, qui est aigre et violente en tous les autres, est douce et modérée en lui par l'extrême respect qu'il a pour sa maîtresse ; en sorte qu'il n'osa éloigner son rival, que sur le prétexte de lui donner le gouvernement de Piémont. Il y a passé plusieurs années ; il revint, l'hiver dernier, sur le prétexte de demander des troupes et d'autres choses nécessaires pour l'armée qu'il commande. Le désir de revoir madame de Valentinois, et la crainte d'en être oublié, avait peut-être beaucoup de part à ce voyage. Le roi le reçut avec une grande froideur. Messieurs de Guise qui ne l'aiment pas, mais qui n'osent le témoigner à cause de madame de Valentinois, se servirent de monsieur le vidame, qui est son ennemi déclaré, pour empêcher qu'il n'obtînt aucune des choses qu'il était venu demander. Il n'était pas difficile de lui nuire : le roi le haïssait, et sa présence lui donnait de l'inquiétude ; de sorte qu'il fut contraint de s'en retourner sans remporter aucun fruit de son voyage, que d'avoir peut-être rallumé dans le coeur de madame de Valentinois des sentiments que l'absence commençait d'éteindre. Le roi a bien eu d'autres sujets de jalousie ; mais ou il ne les a pas connus, ou il n'a osé s'en plaindre.

La mort du roi Henri II (1559)

La paix était signée [paix du Cateau-Cambrésis (Flandre), 3 avril 1559] ; madame Élisabeth, après beaucoup de répugnance, s'était résolue à obéir au roi son père. Le duc d'Albe avait été nommé pour venir l'épouser au nom du roi catholique, et il devait bientôt arriver. L'on attendait le duc de Savoie, qui venait épouser Madame, soeur du roi, et dont les noces se devaient faire en même temps. Le roi ne songeait qu'à rendre ces noces célèbres par des divertissements où il pût faire paraître l'adresse et la magnificence de sa cour. On proposa tout ce qui se pouvait faire de plus grand pour des ballets et des comédies, mais le roi trouva ces divertissements trop particuliers, et il en voulut d'un plus grand éclat. Il résolut de faire un tournoi, où les étrangers seraient reçus, et dont le peuple pourrait être spectateur (...).

L'on fit publier par tout le royaume, qu'en la ville de Paris le pas était ouvert au quinzième juin, par Sa Majesté Très Chrétienne, et par les princes Alphonse d'Este, duc de Ferrare, François de Lorraine, duc de Guise, et Jacques de Savoie, duc de Nemours pour être tenu contre tous venants : à commencer le premier combat à cheval en lice, en double pièce, quatre coups de lance et un pour les dames ; le deuxième combat, à coups d'épée, un à un, ou deux à deux, à la volonté des maîtres du camp ; le troisième combat à pied, trois coups de pique et six coups d'épée ; que les tenants fourniraient de lances, d'épées et de piques, au choix des assaillants ; et que, si en courant on donnait au cheval, on serait mis hors des rangs ; qu'il y aurait quatre maîtres de camp pour donner les ordres, et que ceux des assaillants qui auraient le plus rompu et le mieux fait, auraient un prix dont la valeur serait à la discrétion des juges ; que tous les assaillants, tant français qu'étrangers, seraient tenus de venir toucher à l'un des écus qui seraient pendus au perron au bout de la lice, ou à plusieurs, selon leur choix ; que là ils trouveraient un officier d'armes, qui les recevrait pour les enrôler selon leur rang et selon les écus qu'ils auraient touchés ; que les assaillants seraient tenus de faire apporter par un gentilhomme leur écu, avec leurs armes, pour le pendre au perron trois jours avant le commencement du tournoi ; qu'autrement, ils n'y seraient point reçus sans le congé des tenants.

On fit faire une grande lice proche de la Bastille, qui venait du château des Tournelles, qui traversait la rue Saint-Antoine, et qui allait se rendre aux écuries royales. Il y avait des deux côtés des échafauds et des amphithéâtres, avec des loges couvertes, qui formaient des espèces de galeries qui faisaient un très bel effet à la vue, et qui pouvaient contenir un nombre infini de personnes. Tous les princes et seigneurs ne furent plus occupés que du soin d'ordonner ce qui leur était nécessaire pour paraître avec éclat, et pour mêler dans leurs chiffres, ou dans leurs devises, quelque chose de galant qui eût rapport aux personnes qu'ils aimaient (...).

Enfin, le jour du tournoi arriva. Les reines se rendirent dans les galeries et sur les échafauds qui leur avaient été destinés. Les quatre tenants parurent au bout de la lice, avec une quantité de chevaux et de livrées qui faisaient le plus magnifique spectacle qui eût jamais paru en France.

Le roi n'avait point d'autres couleurs que le blanc et le noir, qu'il portait toujours à cause de madame de Valentinois qui était veuve. Monsieur de Ferrare et toute sa suite avaient du jaune et du rouge ; monsieur de Guise parut avec de l'incarnat et du blanc. On ne savait d'abord par quelle raison il avait ces couleurs ; mais on se souvint que c'étaient celles d'une belle personne qu'il avait aimée pendant qu'elle était fille, et qu'il aimait encore, quoiqu'il n'osât plus le lui faire paraître (...).

Sur le soir, comme tout était presque fini et que l'on était près de se retirer, le malheur de l'État fit que le roi voulut encore rompre une lance. Il manda au comte de Montgomery qui était extrêmement adroit, qu'il se mît sur la lice. Le comte supplia le roi de l'en dispenser, et allégua toutes les excuses dont il put s'aviser, mais le roi quasi en colère, lui fit dire qu'il le voulait absolument. La reine manda au roi qu'elle le conjurait de ne plus courir ; qu'il avait si bien fait, qu'il devait être content, et qu'elle le suppliait de revenir auprès d'elle. Il répondit que c'était pour l'amour d'elle qu'il allait courir encore, et entra dans la barrière. Elle lui renvoya monsieur de Savoie pour le prier une seconde fois de revenir ; mais tout fut inutile. Il courut, les lances se brisèrent, et un éclat de celle du comte de Montgomery lui donna dans l'oeil et y demeura. Ce prince tomba du coup, ses écuyers et monsieur de Montmorency, qui était un des maréchaux du camp, coururent à lui. Ils furent étonnés de le voir si blessé ; mais le roi ne s'étonna point. Il dit que c'était peu de chose, et qu'il pardonnait au comte de Montgomery. On peut juger quel trouble et quelle affliction apporta un accident si funeste dans une journée destinée à la joie. Sitôt que l'on eut porté le roi dans son lit, et que les chirurgiens eurent visité sa plaie, ils la trouvèrent très considérable (...).

Le roi d'Espagne [Philippe II, fils de Charles-Quint], qui était alors à Bruxelles, étant averti de cet accident, envoya son médecin [Vésale], qui était un homme d'une grande réputation ; mais il jugea le roi sans espérance.

Une cour aussi partagée et aussi remplie d'intérêts opposés n'était pas dans une médiocre agitation à la veille d'un si grand événement ; néanmoins, tous les mouvements étaient cachés, et l'on ne paraissait occupé que de l'unique inquiétude de la santé du roi. Les reines, les princes et les princesses ne sortaient presque point de son antichambre (...).

Le mal du roi se trouva si considérable, que le septième jour il fut désespéré des médecins. Il reçut la certitude de sa mort avec une fermeté extraordinaire, et d'autant plus admirable qu'il perdait la vie par un accident si malheureux, qu'il mourait à la fleur de son âge, heureux, adoré de ses peuples, et aimé d'une maîtresse qu'il aimait éperdument. La veille de sa mort, il fit faire le mariage de Madame, sa soeur, avec monsieur de Savoie, sans cérémonie. L'on peut juger en quel état était la duchesse de Valentinois. La reine [Catherine de Médicis, épouse de Henri II] ne permit point qu'elle vît le roi, et lui envoya demander les cachets de ce prince et les pierreries de la couronne qu'elle avait en garde. Cette duchesse s'enquit si le roi était mort ; et comme on lui eut répondu que non :

-- Je n'ai donc point encore de maître, répondit-elle, et personne ne peut m'obliger à rendre ce que sa confiance m'a mis entre les mains.

Sitôt qu'il fut expiré au château des Tournelles, le duc de Ferrare, le duc de Guise et le duc de Nemours conduisirent au Louvre la reine mère, le roi [François II, fils du défunt roi] et la reine sa femme [Marie Stuart, apparentée aux Guise par sa mère]. Monsieur de Nemours menait la reine mère. Comme ils commençaient à marcher, elle se recula de quelques pas, et dit à la reine sa belle-fille, que c'était à elle à passer la première ; mais il fut aisé de voir qu'il y avait plus d'aigreur que de bienséance dans ce compliment.

Le cardinal de Lorraine [frère du duc de Guise et oncle de la nouvelle reine Marie Stuart] s'était rendu maître absolu de l'esprit de la reine mère (...). Ce cardinal, pendant les dix jours de la maladie du roi, avait eu le loisir de former ses desseins et de faire prendre à la reine des résolutions conformes à ce qu'il avait projeté ; de sorte que sitôt que le roi fut mort, la reine ordonna au connétable de demeurer aux Tournelles auprès du corps du feu roi, pour faire les cérémonies ordinaires. Cette commission l'éloignait de tout, et lui ôtait la liberté d'agir. Il envoya un courrier au roi de Navarre pour le faire venir en diligence, afin de s'opposer ensemble à la grande élévation où il voyait que messieurs de Guise allaient parvenir. On donna le commandement des armées au duc de Guise, et les finances au cardinal de Lorraine. La duchesse de Valentinois fut chassée de la cour ; on fit revenir le cardinal de Tournon, ennemi déclaré du connétable, et le chancelier Olivier, ennemi déclaré de la duchesse de Valentinois. Enfin, la cour changea entièrement de face. Le duc de Guise prit le même rang que les princes du sang à porter le manteau du roi aux cérémonies des funérailles : lui et ses frères furent entièrement les maîtres, non seulement par le crédit du cardinal sur l'esprit de la reine, mais parce que cette princesse crut qu'elle pourrait les éloigner, s'ils lui donnaient de l'ombrage, et qu'elle ne pourrait éloigner le connétable, qui était appuyé des princes du sang.

Lorsque les cérémonies du deuil furent achevées, le connétable vint au Louvre et fut reçu du roi avec beaucoup de froideur. Il voulut lui parler en particulier ; mais le roi appela messieurs de Guise, et lui dit devant eux, qu'il lui conseillait de se reposer ; que les finances et le commandement des armées étaient donnés, et que lorsqu'il aurait besoin de ses conseils, il l'appellerait auprès de sa personne. Il fut reçu de la reine mère encore plus froidement que du roi, et elle lui fit même des reproches de ce qu'il avait dit au feu roi, que ses enfants ne lui ressemblaient point. Le roi de Navarre [Antoine de Bourbon, père du futur Henri IV] arriva, et ne fut pas mieux reçu. Le prince de Condé, moins endurant que son frère, se plaignit hautement ; ses plaintes furent inutiles, on l'éloigna de la cour sous le prétexte de l'envoyer en Flandre signer la ratification de la paix. On fit voir au roi de Navarre une fausse lettre du roi d'Espagne, qui l'accusait de faire des entreprises sur ses places ; on lui fit craindre pour ses terres ; enfin, on lui inspira le dessein de s'en aller en Béarn. La reine lui en fournit un moyen, en lui donnant la conduite de madame Élisabeth, et l'obligea même à partir devant cette princesse ; et ainsi il ne demeura personne à la cour qui pût balancer le pouvoir de la maison de Guise (...).

[Vidéo : Introduction à La Princesse de Clèves]

Publié ou mis à jour le : 2019-08-31 11:19:46

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