L'Histoire de France aux Archives nationales

Un musée chasse l'autre


En janvier 2009, le président Nicolas Sarkozy a lancé l'idée d'un musée de l'Histoire de France ; il s'agit du grand oeuvre destiné à illustrer son mandat.

Plusieurs commissions d'historiens ont planché à tour de rôle sur des sites potentiels : Fontainebleau, les Invalides, Vincennes. Puis la crise et les affaires sont passées par là.

Enfin, ce 12 septembre 2010, à Lascaux, à l'occasion du 70e anniversaire de la découverte de la grotte, le président a annoncé son choix : l'hôtel de Soubise, dans le Marais, au coeur de Paris.

Trois sites pour les Archives nationales

L'hôtel en question, construit en 1705 pour le prince de Soubise, abrite depuis 1790 les Archives nationales. Au cours du XIXe siècle, celles-ci ont également annexé l'hôtel mitoyen de Rohan-Strasbourg et quelques jardins environnants.

En dépit de cela, les archives se sont rapidement trouvées à l'étroit et décision a été prise en 1962 de créer une cité des archives à Fontainebleau, à 60 km au sud-est de la capitale, sur un site libéré par l'OTAN.

En 2004, enfin, le président Jacques Chirac a décidé de la création d'un troisième site à Pierrefitte-sur-Seine. Quand il sera achevé, en 2013, l'hôtel de Soubise ne devrait plus conserver que les archives d'Ancien Régime, la bibliothèque historique, les services de recherche et... son musée de l'Histoire de France, avec un effectif d'environ 300 personnes.

Le musée de l'Histoire de France a 133 ans

Ce musée de l'Histoire de France a été créé en 1867, sous le règne de Napoléon III, par le marquis Léon de Laborde, directeur des Archives. Sa mission : présenter au public un millier de documents («un abrégé des preuves de l'Histoire de France à travers les abrégés de la Patrie»).

En 1950, l'archiviste et médiéviste Régine Pernoud dote le musée d'un service éducatif. En 1995, pour préserver les documents fragiles (manuscrits, parchemins...), les conservateurs décident de ne plus les exposer que par rotation, de façon à ce qu'ils ne souffrent pas d'une trop longue exposition à la lumière.

En 2000 est lancé un ambitieux projet de rénovation du musée, sous la conduite d'Ariane James-Sarazin, mais il est suspendu en 2004 pour des raisons d'économie. En 2009 enfin, suite à l'annonce de Nicolas Sarkozy, le musée de l'hôtel de Soubise est débaptisé et change son nom pour celui de «musée des archives».

Vincennes : ne nous fâchons pas avec l'Armée

Place donc à la «Maison de l'Histoire de France». Le choix de l'installer dans l'hôtel de Soubise contredit les préconisations des historiens qui ont été consultés.

Nous en avions déjà débattu sur Herodote.net :

Si l'on souhaite dérouler l'Histoire de France de façon à communiquer à tous les enfants de France l'amour de leur pays, il faut que ce soit en un lieu agréable et spacieux, facile d'accès pour les Français de toutes conditions sociales.

Il faut aussi qu'il présente toutes les facettes de l'Histoire : monarchique et républicaine, laïque et religieuse, civile et militaire, également coloniale et naturelle.

Nos lecteurs et nous-mêmes avions en conséquence plébiscité le site de Vincennes.

Mais l'installation de la «Maison de l'Histoire de France» à Vincennes eut nécessité au préalable le déménagement des Archives des armées dans une caserne désaffectée de Champagne ou de Lorraine. Le Président, si énergique et courageux soit-il, n'a pas voulu ajouter au malaise des militaires, si malmenés par ailleurs.

Hôtel de Soubise : un choix économiquee

L'hôtel de Soubise offre apparemment moins de difficultés et l'on peut espérer que le transfert en banlieue parisienne du personnel des Archives nationales sera plus aisé que le déplacement des militaires.

Il n'empêche que ce personnel s'inquiète déjà de la remise en cause du redéploiement des réserves. Si le futur musée occupe, comme il est annoncé, le tiers des 36.000 m2 du site parisien, il ne restera plus guère de place au fonds d'Ancien Régime, prévu pour rester dans le Marais.

Si les oppositions sont trop fortes, le gouvernement aura toujours la ressource de rebaptiser «Maison de l'Histoire de France» le musée actuel des Archives, avec une enveloppe de quelques millions d'euros.

C'est l'issue vers laquelle on tend à s'orienter, si l'on en croit le rapporteur Dominique Borne, avec des solutions déjà envisagées en 2000 pour le musée des Archives : une «galerie des temps» et quelques expositions permanentes ou temporaires, sur des sujets d'actualité (par exemple le «crâne d'Henri IV»). Pas de quoi donner des insomnies au ministre du Budget.

Reste que l'hôtel de Soubise, situé dans un quartier congestionné du Paris bourgeois, a peu de chance d'attirer un nouveau public et en particulier les jeunes Français des banlieues en mal d'intégration, qui auraient tant besoin d'une «Maison de France» où ils se sentent bien. Craignons que l'on ne passe à côté d'une belle idée.

André Larané.

[Vos commentaires]

Dix historiens donnent leur avis à La Croix

Le quotidien La Croix (18 décembre 2010) a demandé à dix historiens de réagir au projet d'une Maison de l'Histoire de France aux Archives nationales.

Le résultat est riche d'enseignements. Jean-Pierre Rioux, qui a été associé au projet, y voit «une initiative parfaitement républicaine puisqu'elle s'empare de la question de la nation». Stéphane Audoin-Rouzeau, directeur d'étude à l'EHESS, s'interroge sur l'opportunité de l'investissement alors que la recherche manque cruellement d'argent. Son collègue François Hartog s'inquiète de la confusion sur les termes du débat : ainsi a-t-on d'abord parlé de musée puis de maison, ce qui reflète une hésitation sur le sens même du projet. Il lance : «Si nous parlons autant de l'histoire de France, n'est-ce pas parce que nous ne savons plus ce qu'elle est, voire ce qu'est l'histoire tout court !».

Le médiéviste Jacques Le Goff dénonce «une conception fixiste du passé» et un projet qui «fait écho au replis sur soi, à la fermeture au monde». Robert Gildea, de l'université d'Oxford, s'interroge sur l'opportunité d'un tel musée et note que la Grande-Bretagne ne se soucie pas d'en créer un. Il est vrai qu'«au Royaume-Uni, nous avons une reine tandis que vous avez une république : nous devons être loyaux envers une personne, tandis que vous devez l'être envers quelque chose d'abstrait».

Herman Lebovics, professeur à l'université de New York, avance quant à lui «l'idée de la création d'un site Internet où le public pourrait naviguer dans l'histoire sociale, politique, militaire du pays. Une solution moins chère, plus libre qui permettrait de continuer la discussion». Ne serait-ce pas la description du site Herodote.net?



Localisation :
6, rue des Francs-Bourgeois 75006 Paris

Publié ou mis à jour le : 2016-06-30 14:08:57

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