Espagnes

La Catalogne nostalgique de sa gloire passée

Le comté de Barcelone, nom sous lequel fut connue la Catalogne au Moyen Âge, domina longtemps la Méditerranée occidentale. Ses comtes-rois gouvernèrent aussi bien la Provence que Naples.

Ses commerçants, ses marins et ses soldats étendirent l'usage du catalan sur toutes les rives du bassin méditerranéen, jusqu'à Athènes. Ses artistes portèrent à son summum le style roman et ses troubadours firent de la cour de Barcelone un haut lieu de la culture occidentale.

Cette gloire aux multiples facettes déclina très vite après l'union personnelle entre le comte-roi de Barcelone et la reine de Castille et surtout la conquête du Nouveau Monde qui marginalisa la Méditerranée.

André Larané
La Catalogne, une Espagne à part

drapeau catalan Grande comme la Bretagne (30 000 km2) mais presque deux fois plus peuplée (7,5 millions d'habitants), l'actuelle Généralité de Catalogne recoupe assez précisément l'ancien comté de Barcelone.
C'est un triangle rectangle dont un côté est constitué par la côte, des Pyrénées au delta de l'Èbre, et l'autre par les Pyrénées elles-mêmes, de la côte au val d'Aran, où la Garonne prend sa source.
La région compte quatre provinces, Barcelone, Gérone, Lerida (Lleida en catalan) et Tarragone, avec trois langues officielles, le catalan, le castillan et l'aranais, variante du gascon, une langue d'oc.
Plus de la moitié des habitants reconnaît le castillan pour langue maternelle. Le catalan est la langue maternelle d'un tiers des habitants. Il est aussi présent aux Baléares, à Valence, dans les Pyrénées orientales (France) et même en Sardaigne. Notons enfin qu'une grande partie des 20% d'immigrés parle le tamazight, langue berbère du Maroc et d'Algérie.
Avec un PIB de 224 milliards d'euros, la Généralité est la région la plus riche d'Espagne (1000 milliards pour 46 millions d'habitants, 2016). L'essentiel de l'activité industrielle se concentre sur la côte, autour de la capitale Barcelone (2 millions d'habitants). Le tourisme estival est la ressource dominante sur la côte nord (Costa Brava).

Carte de la Catalogne (Paul Coulbois pour Herodote.net)

Préhistoire de la Catalogne

Les premiers habitants de la région furent appelés Ibères par les navigateurs grecs, d'après le nom du fleuve local, Iber (aujourd'hui l'Èbre). Ces mêmes navigateurs, sans doute des Phocéens originaires de Marseille, fondèrent près des Pyrénées un port du nom d'Emporion (le « comptoir », aujourd'hui Ampurias).

Plus tard, au IIIe siècle av. J.-C., la région devint le terrain de jeu des Carthaginois et des Romains. Ces derniers finirent par soumettre l'ensemble de la péninsule et un fils d'Auguste fonda une cité appelée à un grand développement à l'emplacement d'une bourgade ibère dénommée Barcino (aujourd'hui Barcelone).

 l'amphithéâtre romain de Tarraco (Tarragone) Mais la véritable capitale de la province romaine est Tarraco (Tarragone), qui conserve de nombreux monuments hérités de cette période.

Aux temps sombres de l'empire, au Ve siècle, des bandes de Vandales et de Wisigoths ravagent le pays avant de s'y installer pour de bon. Beaucoup plus tard, aux alentours de l'An Mil, des chroniqueurs nommeront la région d'après ces hôtes de passage Gothalonia. D'où, sans doute, par déformation phonétique, le nom actuel de Catalogne.

En attendant, les rois wisigoths, établis à Tolède et convertis au catholicisme, ramènent une prospérité très relative dans la péninsule. Leur suprématie dure deux siècles jusqu'à l'arrivée des musulmans, Arabes et Berbères, en 711.

Ils conquièrent en quelques années toute la péninsule ibérique à laquelle ils donnent le nom des anciens Vandales, al-Andalous (Andalousie)... Toute ? Non, quelques roitelets wisigoths résistent dans la chaîne cantabrique. Ils ne tardent pas à recevoir le soutien des Francs d'outre-Pyrénées.

L'un d'eux, appelé à un destin exceptionnel sous le nom de Charlemagne, va intervenir en personne contre l'émir de Saragosse en 778. Il va ensuite conquérir Gérone en 785, Barcelone en 801 et constituer au nord de l'Èbre des comtés destinés à résister aux musulmans et mener la reconquête.

Cette « marche d'Espagne » va donner naissance à l'État catalan, simultanément à la naissance des futurs États européens tels que la France, l'Allemagne, la Hongrie...

Portail roman du monastère bénédictin Santa María de Ripoll

La Catalogne romane

En 878, au concile de Troyes, les carolingiens réunissent toute la Catalogne orientale entre les mains du comte de Barcelone Guifred le Velu. Les historiens y voient l'acte de naissance de la Catalogne.

Les apôtres Jude et Jacques (art roman de Catalogne, fin XIe siècle)Pour asseoir son autorité et assurer son salut, Guifred fonde le monastère Notre-Dame de Ripoll, dans les moyennes Pyrénées. Il va devenir un haut lieu de la culture érudite où l'on traduit notamment des livres arabes et grecs. C'est là que Gerbert d'Aurillac, futur pape Sylvestre II, s'initiera à la science des chiffres.

En 985, le comte de Barcelone appelle à l'aide le lointain successeur de Charlemagne suite à la mise à sac de sa ville par le vizir al-Mansour. Mais l'empereur, qui a d'autres soucis en tête, fait la sourde oreille et le comte comprend qu'il n'a plus rien à espérer des carolingiens. Dès lors, il va apprendre à se débrouiller tout seul quitte à nouer des alliances de circonstance avec les roitelets musulmans pour protéger son indépendance.

La future Catalogne renforce aussi ses liens avec les pays de langue d'oc et la Provence, qui appartiennent à la même communauté linguistique. Ces liens prennent forme aussi dans le domaine religieux à l'initiative de l'abbé Oliba.

sarcophage de l'évêque et abbé Oliba Ce noble né vers 971 a renoncé à la vie profane pour entrer comme moine à Notre-Dame de Ripoll. Il en devient l'abbé en 1008.

Il va dès lors accompagner le renouveau de l'Église en embellissant Saint-Michel de Cuxa et en fondant Saint-Martin du Canigou (Pyrénées-Orientales), en fondant aussi le monastère de Sainte-Marie de Montserrat, devenu aujourd'hui un haut lieu du nationalisme catalan.

Oliba enrichit considérablement la bibliothèque de Ripoll. Fin connaisseur de la Lombardie et la Provence, il introduit en Catalogne l'art roman en s'inspirant des réalisations de ces régions et très vite les artistes catalans vont se hisser au premier plan, tant dans la sculpture que la peinture.

Devenu évêque de Vic, cet homme d'exception trouve aussi moyen de faire voter la Trêve de Dieu au synode d'Elne (ou concile de Toulouges), dans la plaine de Toulouges, au sud de Perpignan, le 16 mai 1027. Cette disposition qui interdit les combats le dimanche et les jours fériés va grandement contribuer à pacifier la société féodale.

L'Espagne (1086-1194), Atlas historique de la Catalogne, 2010, avec l'aimable autorisation des éditions Autrement

Le comte de Barcelone se fait comte de Provence et roi d'Aragon

Après l'An Mil, les souverains chrétiens du nord de l'Espagne poursuivent avec un certain succès la reconquête (Reconquista) face à des musulmans divisés, les reyes de taïfas. Après la perte de Tolède, en 1085, ces derniers appellent à l'aide le souverain almoravide qui règne à Marrakech (Maroc).

Cet « État islamique », avec ses guerriers du désert, a tôt fait de s'emparer d'al-Andalous et renvoie dans leurs montagnes les souverains chrétiens du León, de Castille, d'Aragon et de Barcelone. Sans se décourager, ceux-ci reprennent l'offensive avec l'appui de tous ceux que révulse le fanatisme des Almoravides.

Dans l'épreuve, les descendants de Guifred le Velu soudent autour d'eux les petits féodaux du nord de l'Èbre et consolident la puissance de Barcelone. Ce n'est pas tout. D'heureux mariages vont propulser le comté au premier rang des puissances de Méditerranée occidentale.

Cela commence avec l'union du jeune comte Raymond Bérenger III (Ramon Berenguer) avec Douce, fille et héritière du comte de Provence Gilbert et devient lui-même comte de Provence en 1116. A la même époque, le roi capétien Louis VI le Gros peine à sortir de son domaine sis entre Paris et Orléans !...

Le comte de Barcelone se voit toutefois contester ses droits par le comte de Toulouse Alphonse Jourdain. Leur guerre se conclut le 16 septembre 1125 par un traité de partage qui laisse au Toulousain les terres au nord de la Durance ainsi que les châteaux de Beaucaire et Valabrègue, à l'ouest du Rhône, sous l'appellation de marquisat de Provence.

Raymond Bérenger IV, Pétronille d'Aragon et leur fils Alphonse II (Généalogie des rois d'Aragon de Poblet, 1400) Entretemps, Raymond Bérenger III arrondit ses domaines avec la Cerdagne et l'île de Majorque. Son fils et successeur Raymond Bérenger IV fait mieux encore.

Le 11 août 1137, il convient avec le roi d'Aragon d'épouser sa fille et héritière Pétronille. La jeune promise a tout juste... un an et il faudra attendre quatorze ans pour que le mariage devienne officiel.

Le comte n'a pas attendu ce délai pour asseoir son autorité sur le royaume pyrénéen et sa capitale Saragosse, au grand dépit de son rival, le roi de Castille et León.

Poursuivant par ailleurs son offensive contre les Almoravides et les Almohades qui leur ont succédé, il reprend aux musulmans toutes les terres qu'ils tiennent encore au nord de l'Èbre. Des colons venus d'outre-Pyrénées et des moines cisterciens mettent en valeur cette « Nouvelle Catalogne ».

À sa mort, le 6 août 1162, le comte-roi Raymond Bérenger IV, dit le Vieux, laisse ses Etats plus puissants que jamais, tant en Méditerranée occidentale que dans la péninsule ibérique. Le meilleur reste à venir.

La Catalogne au XIIe siècle, Atlas historique de la Catalogne, 2010, avec l'aimable autorisation des éditions Autrement

Le quart d'heure de gloire des Catalans

Alphonse II, fils de Raymond-Bérenger et Pétronille, s'attire les surnoms de Chaste et Troubadour. Prince énergique et lettré, il cultive le « gai savoir », ce qui vaut à Barcelone le surnom d'« Athènes des troubadours ». Alphonse II est aussi un habile politique. Attiré par le nord des Pyrénées, il s'empare du Roussillon et du Béarn et annexe Nice à la Provence.

Catalans, Languedociens et Provençaux communient dans une même culture et leurs parentés linguistiques conduiront beaucoup plus tard, au XIXe siècle, le poète provençal Frédéric Mistral à tenter un rapprochement avec ses homologues catalans...

Son fils et successeur Pierre II négocie un mariage avec Marie, dame de Montpellier, ce qui lui vaut d'annexer ledit comté. Ayant fait allégeance au pape Innocent III, il prend la tête de la croisade contre les Almohades et écrase ceux-ci à Las Navas de Tolosa en 1212.

L'année suivante, fort de son prestige de roi très catholique, il obtient l'allégeance du comte de Toulouse et se porte à son secours quand il est attaqué par l'armée de Simon de Montfort, venue du bassin parisien sous le prétexte d'éradiquer l'hérésie cathare. Mal lui en prend. Il est tué à la bataille de Muret.

Son jeune fils et héritier Jacques Ier (5 ans) va devoir gérer la succession. À sa majorité, il met au pas la noblesse aragonaise puis entreprend la conquête des Baléares, du royaume de Valence, de la Sicile et de la Sardaigne, ce qui lui vaut le surnom de Conquérant. Dans le même temps, en 1258, le traité de Corbeil avec saint Louis lui fait renoncer à la Provence et au Languedoc (à l'exception de Montpellier). C'en est fini du rêve provençal.

Pierre III, roi d'Aragon et de Sicile (miniature, Chronique générale de l'Espagne, XIVe siècle)

En mourant, le 27 juillet 1276, Jacques Ier le Conquérant lègue ses domaines à son fils aîné Pierre III, à l'exception du Roussillon et des Baléares qui forment le royaume de Majorque, avec Perpignan pour capitale, sous l'autorité de son fils cadet. Ce royaume ne durera que deux générations.

En 1282, à la suite des Vêpres siciliennes, les habitants de Palerme chassent leur souverain français et offrent la couronne à Pierre III. Voilà l'Aragon installé pour plusieurs siècles en Italie du sud. La Catalogne devient ainsi le centre d'un empire ibérique et méditerranéen.

Barcelone devient une vraie métropole et se pare de monuments qui font encore la splendeur du « quartier gothique », le barrio gotico.

Autour de la ville se développe une activité textile importante fondée sur le tissage de la laine importée de Castille. Cette activité et ces échanges vont contribuer au rapprochement entre les deux royaumes... et à la pénétration de la langue castillane parmi les élites catalanes.

Les armateurs catalans, qui disposent à Barcelone de chantiers navals impressionnants, les Drassanes, commencent aussi à se poser en concurrents redoutables des Italiens dans tous les ports de la Méditerranée et au-delà.

Ils établissent des comptoirs au Levant et, au XIVe siècle, des mercenaires catalans au service de l'empereur byzantin fondent même pour leur propre compte un duché d'Athènes !

Atlas catalan (1375, BnF, département des Manuscrits)

Le ciel s'assombrit

Au milieu du XIVe siècle, la Catalogne compte un demi-million d'habitants (dont quelques milliers de juifs). C'est alors qu'elle est frappée par la Peste noire. Après un dépeuplement brutal, la région connaît comme le reste de l'Europe une succession de crises de croissance, marquées par des révoltes sociales et un creusement des inégalités.

En 1410, la maison de Barcelone issue de Guifred le Velu s'éteint sans descendance mâle. Il s'ensuit une guerre de succession (un peu comme en France un siècle plus tôt avec la fin des Capétiens directs).

Par le compromis de Caspe, le 15 juillet 1412, les représentants du pape et du roi de France imposent le choix du candidat castillan, Ferdinand 1er d'Antequera, fils cadet du roi Jean 1er de Castille et neveu du roi défunt par sa mère. Il inaugure la dynastie de Trastamare.

Son fils et successeur Alphonse le Magnanime laisse à sa femme Marie le gouvernement de la Catalogne et s'établit à Naples. La reine doit gérer tant bien que mal le conflit entre seigneurs et paysans, ces derniers réclamant la suppression de la remence, une taxe très lourde obligatoire pour quiconque désirait quitter son seigneur.

Les Cortes catalanes réunis en présence du roi Ferdinand II le Catholique (incunable du XVe siècle) Le conflit sera réglé en 1486 par la Sentence de Guadalupe prononcée par le roi Ferdinand II. Celui-ci se montre habile à rabaisser les prétentions de la noblesse en cultivant l'alliance entre la monarchie et les assemblées d'Etats qui représentent la bourgeoisie.

Le 14 octobre 1469, par son mariage avec l'héritière du trône de Castille, Isabelle 1ère, Ferdinand II prépare l'union des deux royaumes. Cette union personnelle va prendre corps avec l'accession au trône d'Isabelle, le 13 décembre 1474.

En 1492, le couple royal va s'illustrer par la prise du dernier royaume musulman de la péninsule, ce qui va lui valoir de recevoir du pape le titre de « Rois catholiques ». La même année, la découverte du Nouveau Monde par Christophe Colomb va entraîner le déclin du commerce méditerranéen et la marginalisation de la Catalogne.

Le comté de Barcelone va dès lors perdre son indépendance au profit de Madrid tout en restant farouchement attaché à ses institutions particulières, ses assemblées d'Etats et ses coutumes.

Les révoltes catalanes

Dans les siècles suivants, les Catalans ne vont avoir de cesse d'exprimer par des révoltes leur ressentiment à l'encontre du centralisme castillan.

En 1640, écrasés d'impôts du fait d'une guerre entre l'Espagne de Philippe IV et la France de Louis XIII et Richelieu, les paysans se soulèvent et, le 7 juin 1640, plusieurs centaines de moissonneurs saccagent Barcelone. Le chant de ces segadors deviendra à la fin du XIXe siècle l'hymne national catalan.

Il se trouve alors des Catalans pour proposer au roi de France une annexion de leur pays.

La révolte des moissonneurs ou Segadors (peinture de 1890)

En 1703, cependant, la conjoncture internationale se retourne en défaveur des Catalans avec une guerre longue et particulièrement meurtrière : la guerre de la Succession d'Espagne, dans laquelle la France et l'Espagne sont alliées contre presque toute l'Europe.

La guerre a été provoquée par l'Angleterre qui refusait qu'un petit-fils de Louis XIV hérite du trône d'Espagne selon la volonté du roi défunt. À tout prendre, elle lui préférait le frère de l'empereur allemand, l'archiduc Charles. Mais la mort inopinée de l'empereur en 1711 place son frère sur le trône de Vienne. Pour l'Angleterre, il n'est pas question qu'il reçoive en prime le trône d'Espagne. Le moment est venu donc d'engager des négociations de compromis avec la France. Elles aboutiront au traité d'Utrecht.

Les assemblées catalanes rejettent quant à elles ce compromis qui aboutit à l'installation d'un Bourbon à Madrid. Elles se soulèvent au nom du Habsbourg, l'archiduc Charles.

Barcelone, assiégée par les troupes castillanes et françaises, va être soumise à un rude siège et à une répression impitoyable, avec en prime une administration centralisée et l'obligation du castillan dans tous les documents officiels.

L'anniversaire de sa reddition, le 11 septembre 1714, est aujourd'hui fête nationale.

Le siège de Barcelone vu par La Gazette

La Gazette, journal de référence des élites parisiennes, raconte dans son édition du 29 septembre 1714 le siège de Barcelone par les troupes françaises. La ville, aux dires du narrateur, souffre de la famine. « Deux cents hommes ou femmes sortirent de la Ville, criant : Miséricorde, Vive le Roy Philippe V, mais on les força de rentrer »...

Extraits :
« Les dernières lettres du Camp devant Barcelone, portent que tout se preparoit pour donner l'assaut général ; les mines estant chargées, & les breches augmentées é pratiquables. les rebelles avoient été battus en plusieurs rencontres. [...] Le 31 du mois dernier, la tranchée fut montée devant Barcelone.
[...] Il [le Duc de Mortemar] a rapporté au Roy que le Maréchal de Berwik avoit fait donner le 11 à quatre heures du matin, l'assaut général de la Ville de Barcelone. Le feu fut terrible de part & d'autre, néantmoins à onze heures les assiégez furent forcez, & on se rendit maître des deux bastions de l'attaque & des retranchements. On fit un grand carnage des ennemis qui se retirèrent dans la nouvelle Ville, laquelle n'étant séparée de l'ancienne que par une vieille muraille, ne peut pas les mettre en estat de faire une longue résistance. En effet, sur le midy, ils arborèrent un drapeau blanc, & ils demanderent à envoyer des Ostages pour traiter. [...]
Le 13 à dix heures du matin, le Marquis de Broglie envoyé par le Mareschal de Berwik, arriva à Fontainebleau avec la nouvelle de la prise de Barcelone... »

Ainsi faisait-on la guerre au XVIIIe siècle.

Source : BNF (Retronews).

L'Europe du traité d'Utrecht, 1714, Atlas historique de la Catalogne, 2010, avec l'aimable autorisation des éditions Autrement

La tentation indépendantiste

Sous les premiers Bourbons, la Catalogne, résignée à la perte de son autonomie, prend sa revanche dans le domaine économique. Elle connaît au XVIIIe siècle une vive expansion industrielle grâce aux filatures de cotons et au commerce des indiennes (cotonnades imprimées). Beaucoup de Catalans, les Indianos, vont aussi faire fortune au Nouveau Monde.

Au milieu du XIXe siècle, des érudits et des poètes tentent de faire revivre la culture et la langue indigènes, comme dans d'autres régions européennes (Finlande, Allemagne, Provence etc). Ce mouvement débouche sur des aspirations autonomistes qui se traduisent par la victoire électorale du parti catalan, la Lliga regionalista, en 1901.

À la génération suivante, l'industrialisation suscite un « anarcho-syndicalisme » original avec la fondation de la puissante Confédération Nationale du Travail (CNT) à Barcelone en 1910. Il s'ensuit de violentes tensions sociales en Catalogne. Elles opposent le courant anarchiste et anticléricald'extrême-gauche aux conservateurs et aux libéraux.

Dans le même temps, des artistes redonnent vie à la créativité catalane mais n'ont cure des revendications autonomistes. Leur horizon déborde la région. Il englobe la péninsule ibérique, la France et l'Europe. Ces créateurs de génie ont nom Antoni Gaudí, Joan Miró ou encore Salvador Dalí. Auraient-ils pu s'épanouir dans une Catalogne indépendante, séparée par la langue tant de l'Espagne que de la France ?...

Amers combats

Francesc Macià, fondateur en 1922 du fonda le parti indépendantiste Catalan (Estat Català) (Vilanova i la Geltrú, 21 octobre 1859 ; Barcelone, 25 décembre 1933De cette question, le colonel Francesc Macia n'en a cure...

Ce militaire sexagénaire fonde en 1922 le parti indépendantiste Estat Català et triomphe sous la IIe République avec la proclamation d'une « République catalane » le 14 avril 1931.

L'année suivante, le Parlement espagnol accorde l'autonomie à la « Generalitat de Catalunya » dont le vieux Francesc Macia devient le premier président.

L'avocat Lluis Companys lui succède à la présidence le 1er janvier 1934. Le 6 avril 1934, il proclame l'État catalan, ce qui lui vaut d'être envoyé en prison. Il y restera deux ans, jusqu'à la victoire du Front populaire en 1936. Mais la guerre civile va couper court à la renaissance catalane.

Lluis Companys au milieu de ses compagnons de détention en octobre 1934

À Barcelone, lors du pronunciamento militaire du 17 juillet 1936, les milices ouvrières renvoient les militaires dans leurs casernes. Les anarchistes et les trotskistes assument dès lors la légalité républicaine.

Il s'ensuit une guerre civile à l'intérieur de la guerre civile ! Tandis que dans le reste de l'Espagne, les troupes nationalistes de Franco grignotent le terrain au détriment des républicains, en Catalogne, ces derniers se déchirent cruellement, les brigades communistes et les agents staliniens faisant la chasse aux anarcho-trotskistes.

Barcelone assiégée par les franquistes (1938-1939)

La prise de Barcelone par les franquistes le 26 janvier 1939 met un terme à la Généralité de Catalogne mais pas à la répression. S'étant réfugié à La Baule, Lluis Companys est repris par la Gestapo après l'invasion de la France et livré aux Espagnols. Il est torturé et exécuté sur la colline de Montjuich, au-dessus de Barcelonne, le 15 octobre 1940. 

Il faudra attendre le rétablissement de la démocratie espagnole pour que la Catalogne retrouve son autonomie le 11 janvier 1980, à l'égal des deux autres communautés nationales, la Galice et le Pays basque.

Sous l'égide du charismatique Jordi Pujol, un médecin né en 1930, élu président de la Généralité en 1980, la Catalogne va cultiver avec bonheur ses nouveaux droits et imposer la reconnaissance de sa langue et de sa culture. Barcelone entre dans le cercle prestigieux des métropoles-mondes en accueillant les Jeux Olympiques en 1992.

Jordi Pujol quitte le pouvoir en 2003. Il est relayé à la tête du parti autonomiste (Convergence démocratique catalane) et un peu plus tard à la présidence de la Généralité par Arthur Mas. En 2014, sous le coup d'une inculpation d'enrichissement illicite, il est remplacé par un inconnu, le journaliste Carles Puigdemont, suite à d'obscures manoeuvres de couloir.

Entretemps, le 18 juin 2006, le gouvernement socialiste de José Luis Zapatero a accordé aux Catalans un nouveau statut d'autonomie approuvé par référendum. Il reconnaît à la Généralité le statut de nation avec de très larges délégations de pouvoir en matière de justice et fiscalité. Contesté par la Cour constitutionnelle, ce statut est abrogé en 2010.   

La tentation du repli

Depuis l'abrogation du statut de 2006, il se trouve beaucoup de Catalans pour ne plus se satisfaire de l'autonomie, si étendue soit-elle, ni même du retour en force de la langue et de la culture catalanes. La crise économique de ce début du XXIe siècle leur a rendu insupportable la solidarité avec les régions espagnoles moins bien dotées.
Oublieux de la « Movida » joyeuse qui a suivi la dictature franquiste, aigris par la montée du chômage, des dépenses sociales et de l'immigration maghrébine... et andalouse, ils aspirent à une complète indépendance, avec des ambassadeurs et une armée.
Cette tentation du repli, à l'opposé de la grandeur d'antan, quand la langue catalane chantait tout autour de la Méditerranée, ne les empêche pas de vouloir demeurer sous la protection de l'Union européenne... Une contradiction à l'origine du relatif succès des indépendantistes aux élections régionales du 27 septembre 2015 (une majorité de sièges avec seulement 48% des voix).
À la suite du référendum illégal du 1er octobre 2017, rien n'est à exclure. Et d'aucuns s'inquiétent d'un nouvel État qui rejetterait la fraction hispanophone de sa population et que refuseront de reconnaître la plupart des États européens, à commencer par la France, soucieuse de ne pas ouvrir la boîte de Pandore. De quoi déstabiliser un peu plus l'Union européenne, déjà mise à mal par le Brexit et la crise financière de la Grèce.

Bibliographie

Nous nous sommes très largement inspirés de l'Atlas historique de la Catalogne (Gracia Dorel-Ferré, 2010, éditions Autrement pour la version française).

Publié ou mis à jour le : 2022-04-28 19:29:28

Voir les 13 commentaires sur cet article

Marcel Quevrin (21-11-2017 01:29:44)

Tout à fait du même avis que GVS car ces régions ne font pas partie de notre l'Europe politique.Alors tout est bon pour des autonomies ou indépendances.Faux-cul européen comme de coutume...

Sylvain Manyach (18-10-2017 14:59:19)

J'avais omis de commenter la phrase suivante : "Ces créateurs de génie ont nom Antoni Gaudí, Joan Miró ou encore Salvador Dalí. Auraient-ils pu s'épanouir dans une Catalogne indépendante, sépa... Lire la suite

Henri Frebault (15-10-2017 15:51:02)

Très bon article bien documenté, correspond à la réalité pour au moins 90%. Je suis étonné de ne voir que des commentaires irresponsables, loings de la réalité historique et encore plus loing... Lire la suite

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