8 avril 1904

L'Entente cordiale

Le 8 avril 1904 est officialisée l'Entente cordiale entre le Royaume-Uni et la République française.

Il ne s'agit pas d'une alliance mais d'un simple accord destiné à aplanir les différends coloniaux entre les deux ennemis héréditaires. C'est déjà beaucoup si l'on songe que les deux pays avaient été sur le point de se combattre six ans plus tôt à propos de Fachoda, une misérable bourgade du Soudan. En France, ce souvenir est encore dans toutes les mémoires et l'on ne cache pas sa sympathie pour les Boers d'Afrique du Sud en guerre contre Londres.

Londres et Paris avaient déjà eu l'occasion de nouer une Entente cordiale deux générations plus tôt, sous le règne du roi Louis-Philippe Ier. Le vieux roi septuagénaire avait rencontré à plusieurs reprises la jeune reine Victoria au château d'Eu, en Normandie, avec la bénédiction de son ministre François Guizot. Le premier, il avait parlé de cordiale entente. Cette relation personnelle s'était prolongée sous le règne de Napoléon III et les deux pays avaient engagé côte à côte de grandes opérations militaires en Russie ou encore en Chine.

Un équilibre européen menacé

Les liens entre les deux nations se dénouent à nouveau au début de la IIIe République, lorsque celle-ci se pose en rivale de l'Angleterre dans la colonisation des dernières terres insoumises de la planète. Mais en 1882, le chancelier allemand Bismarck parvient à réunir l'Allemagne, l'Autriche-Hongrie et l'Italie au sein de la Triple Alliance ou Triplice en vue de prévenir une éventuelle agression de la Russie ou de la France.

Après l'éviction du « chancelier de fer », en 1890, l'empereur allemand Guillaume II manifeste rien moins que l'ambition de concurrencer le Royaume-Uni sur les mers. En 1908, il se lance dans la construction d'une puissante flotte de guerre, affirmant que « l'avenir de l'Allemagne est sur l'eau ». À Londres, le roi Édouard VII réplique en affirmant que « l'océan n'a qu'un maître » et que pour chaque bâtiment sorti des chantiers navals allemands, l'Amirauté britannique en construira deux.

Ces rodomontades n'empêchent pas les dirigeants britanniques de s'inquiéter e leur « splendide isolement », selon le mot d'un député canadien. Ils se disent que leur pays ne peut s'opposer impunément à tous les grands pays européens (Russie, Allemagne, France). Ils appréhendent la montée de l'Allemagne et regrettent que l'empereur Guillaume II, bien que petit-fils de la défunte reine Victoria, rejette la main tendue du gouvernement britannique.

L'opinion contre l'Entente cordiale

La France a fait le choix, dix ans plus tôt, de s'allier avec la Russie tsariste, pour prendre à revers l'Allemagne en cas de conflit. Mais cette alliance hérisse l'Angleterre, qui dispute à la Russie la domination de l'Asie et la combat indirectement en Extrême-Orient comme en Asie centrale. 

Théophile Delcassé (Pamiers, 1er mars 1852- Nice, 22 février 1923)En dépit de cet obstacle de taille, le rapprochement avec Londres est discrètement mais fermement promu par Théophile Delcassé. Ce républicain de gauche anticlérical et nationaliste ne s'accommode pas de la perte de l'Alsace-Lorraine en 1871 et aspire plus que quiconque à une revanche sur l'Allemagne.

Il est devenu ministre des Affaires étrangères le 15 juin 1898, soit  avant l'affaire de Fachoda. Prenant la succession de Gabriel Hanoteaux, jugé trop accommodant avec les Allemands, il s'est de suite empressé d'apaiser les tensions avec Londres en songeant déjà à un futur rapprochement.

Par un accord franco-britannique en date du 21 mars 1899, il renonce à toute prétention sur la vallée du Nil et solde le dernier contentieux entre les deux pays en Afrique. 

Toujours en vue d'une coalition contre l'Allemagne, il conclut ensuite un accord secret avec l'Italie le 24 décembre 1900 concernant les questions coloniales en Afrique du nord et en Tripolitaine (Libye). Les deux pays reconnaissent leurs ambitions réciproques au Maroc et en Tripolitaine. C'est un coup de canif porté à la Triplice. L'apprenant, l'empereur Guillaume II le qualifie avec mépris de « tour de valse » italien.

Delcassé profite enfin de ce que l'opinion publique est accaparée par l'affaire Dreyfus pour entamer des discussions avec ses homologues britanniques. Il tire parti des bonnes relations de l'ambassadeur de France à Londres, Paul Cambon, avec le roi Édouard VII.

Le roi Edouard VII (1841-1910)Amoureux du gai Paris et passionnément désireux de voir aboutir l'Entente cordiale, le roi a accédé au trône deux ans plus tôt, à l'âge déjà avancé de 60 ans.

Il n'hésite pas à « mouiller sa chemise ». C'est ainsi qu'il débarque en France pour un voyage officiel de trois jours en vue de rallier l'opinion anglophobe à sa cause.

Le 1er mai 1903, le roi serre la main du président Émile Loubet à la descente de son train à la gare du bois de Boulogne, près de la porte Dauphine (Paris).

L'accueil des Parisiens est glacial. On entend des : « Vive Jeanne d'Arc ! » ou « Vive les Boers ! » sur le trajet du cortège. Mais la bonhommie et l'amour sincère du roi pour la France ont raison de l'anglophobie ambiante.

Au théâtre, il lance un compliment émouvant à une actrice en vogue. L'anecdote fait le tour du pays et le voyage s'achève sous les vivats.

L'Entente avant la Revanche

L'accord, réduit à quatre articles, est enfin signé à Londres par le secrétaire au Foreign Office, Lord Lansdowne, et l'ambassadeur Paul Cambon. Il ne s'agit en aucune façon d'une alliance (il n'est pas encore question de se porter secours en cas d'agression).

• L'accord résout en premier lieu un litige sur le monopole français de la pêche à la morue dans les eaux de Terre Neuve en échange de quelques avantages concédés à la France au Soudan.

• Il règle quelques difficultés au Siam (Thaïlande), à Madagascar, aux Nouvelles-Hébrides.

• Il précise surtout les objectifs immédiats des deux grandes puissances impérialistes du moment : Paris laisse les mains libres à Londres en Égypte et, en contrepartie, se voit reconnaître une liberté d'action au Maroc.

Pour Théophile Delcassé, le plus dur reste à faire, à savoir rapprocher ses deux alliés, l'Angleterre et la Russie, qui, pour l'heure, se combattent par Japon interposé. Il exerce avec succès sa médiation après l'incident du Dogger Bank : dans la nuit du 21 octobre 1904, des chalutiers britanniques ont été arraisonnés par des navires russes au large de ce banc de sable danois... 

Guillaume II, inquiet de ce rapprochement encore embryonnaire, sollicite à son tour une invitation à Paris. Elle lui est refusée. Face à l'attitude intransigeante de Delcassé, l'empereur d'Allemagne se raidit. Il débarque théâtralement à Tanger le 31 mars 1905 afin de contester les visées de la France sur le sultanat. On est au bord de la guerre ! Le président du Conseil Maurice Rouvier calme le jeu en acceptant la réunion d'une conférence de la dernière chance à Algésiras... et la démission de Delcassé le 6 juin 1905.

Ces péripéties imprévues vont contribuer au renforcement de l'Entente cordiale et à l'apaisement des tensions entre Londres et Saint-Pétersbourg,  jusqu'à déboucher sur une alliance pleine et entière de la France, la Russie et le Royaume-Uni dans la Première Guerre mondiale dix ans plus tard.

Faut-il s'en étonner ? C'est en 1904, l'année de l'Entente cordiale, que sont imprimées les grandes affiches de la mobilisation générale qui seront placardées sur les murs des mairies, dix ans plus tard (la date de la mobilisation, laissée en blanc par l'imprimeur, sera complétée à la main).

André Larané
Publié ou mis à jour le : 2022-02-24 08:58:24

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