31 août 1980

Accords de Gdansk

Le 31 août 1980, avec plusieurs jours d'âpres négociations et deux mois de grèves, les ouvriers des chantiers navals de Gdansk concluent un accord sans précédent dans le monde communiste avec le gouvernement polonais. 

Sous la conduite de Lech Walesa, un ouvrier électricien charismatique de 36 ans, fervent catholique, père de six jeunes enfants, ils obtiennent la création d'un syndicat libre et indépendant de toute attache avec le pouvoir : Solidarnosc (« Solidarité »).

Chacun se réjouit en Pologne comme en Occident que la crise ait pu être résolue sans qu'intervienne l'armée ni, pire encore, le « protecteur » soviétique. Il est vrai que ceux-ci, empêtrés en Afghanistan, ne sont guère en mesure d'intervenir militairement en Pologne.

Alban Dignat

Les ouvriers et le pape contre le gouvernement communiste

En 1968, l'armée polonaise intervient sans vergogne en Tchécoslovaquie dans le cadre du Pacte de Varsovie, pour écraser le « printemps de Prague ».

Edward Gierek (Sosnowiec, 6 janvier 1913 - 29 juillet 2001, Cieszyn)Mais deux ans plus tard, en décembre 1970, le pays est à son tour secoué par de violentes manifestations ouvrières consécutives à de brutales hausses de prix des produits alimentaires, de l'ordre de 30%.

Le gouvernement envoie les chars et réprime les troubles avec violence. Il s'ensuit plusieurs dizaines de victimes. C'est un amer retournement de situation pour le secrétaire général du Parti ouvrier unifié polonais (PZPR) Wladislaw Gomulka, que les Soviétiques avaient placé à la tête du pays, le 21 octobre 1956, sous la pression de la rue.

Disqualifié, il se retire « pour raison de santé » le 20 décembre 1970 et laisse la direction du parti et du pays à Edward Gierek.

Ce dernier calme momentanément le jeu en bloquant les prix, promulguant des réformes sociales et donnant plus d'autonomie aux entreprises. Mais les pénuries persistantes, liées en particulier à l'archaïsme de l'agriculture polonaise, occasionnent de nouvelles émeutes ouvrières à Ursus et Radom, près de Varsovie, ainsi que dans les ports de la Baltique, en juin 1976.

Le gouvernement les réprime à nouveau par la violence et frappe les meneurs. L'injustice conduit des intellectuels à s'intéresser de plus près au sort des ouvriers. L'historien Jacek Kuron fonde le Komitet Obrony Robotników (KOR, en français : « Comité de défense des ouvrier »).

Le 18 octobre 1978, l'opposition au régime communiste reçoit une impulsion décisive avec l'élection du polonais Karol Wojtyla à la papauté sous le nom de Jean-Paul II. Charismatique et relativement jeune (58 ans), le nouveau pape se rend en Pologne quelques mois plus tard, en mai-juin 1979. Il électrise les foules. Quatre mots font le tour du pays : « N'ayez pas peur ! »

Walesa au pinacle

Ce sont une nouvelle fois les pénuries alimentaires qui vont mettre le feu aux poudres. Le 1er juillet 1980, le gouvernement augmente le prix de la viande dans les cantines des collectivités et des entreprises. Une première grève générale embrase Lublin. Cinquante mille grévistes paralysent la ville. Le 11 juillet, pour la première fois dans l'histoire de la Pologne communiste, les autorités négocient un accord.

La grève devant les chantiers navals Lénine de Gdansk (1980), DRMais l'agitation repart le 14 août 1980 dans les chantiers navals Lénine, à Gdansk (ex-Dantzig), sur la Baltique. Elle est lancée par un membre du KOR et quatre ouvriers dont un électricien de 36 ans qui avait été licencié en 1976 pour cause d'agitation syndicale, Lech Walesa. 

Lors des émeutes de 1970, jeune père de famille, il s'était trouvé mêlé aux émeutes et avait dû signer une déclaration de soumission au régime... Elle le suivra comme un boulet toute sa vie.

Les grévistes réclament deux mille zlotys de plus pour tous les salariés et la réintégration d'une opératrice de grue abusivement licenciée à quelques semaines de la retraite, Anna Walentynowicz.

Surprise : le mouvement s'étend aux services publics de la ville et aux autres ports de la Batique, Gdynia et Sopot. Devant la gravité de la situation, Edward Gierek interrompt ses vacances en Crimée.

À 15 heures, les grévistes des chantiers navals obtiennent 1500 zlotys, la réintégration d'Anna Walentynowicz et de Lech Walesa et la création d'un syndicat libre, indépendant du parti gouvernemental. Lech Walesa annonce au mégaphone la fin de la grève. C'est alors qu'il est pris à partie par une conductrice de tram : « Vous nous avez vendus ! » Après une rapide discussion, Lech Walesa reprend son mégaphone et annonce la reprise de la grève en solidarité avec les grévistes de la ville et des autres chantiers : « Il faut accepter le compromis même s’il n’est pas fameux, mais nous n’avons pas le droit de lâcher les autres : nous devons continuer la grève par solidarité jusqu’à la victoire de tous ! »

Le soir même, les délégués de plusieurs sites constituent un comité inter-entreprises, le MKS, afin de coordonner leurs actions. Et pour éviter l'évacuation des chantiers par les forces de l'ordre, ils obtiennnent qu'une messe soit célébrée sur place, le dimanche matin 17 août 1980. Devant plusieurs milliers de fidèles, dans une atmosphère de ferveur exceptionnelle, sous la surveillance des hélicoptères de la police, une croix est dressée à l'endroit où doit être construit à la mémoire des victimes de 1970.

La tension monte dans tout le pays. Le général Jaruzelski émet la crainte que les Soviétiques n'interviennent pour rétablir l'ordre. Le gouvernement procède à des arrestations à Varsovie et dans tout le pays. Parmi les personnes interpellées figure Jacek Kuron. Mais d'autres intellectuels, Bronislaw Geremek et Tadeusz Mazowiecki, se mettent à la disposition des ouvriers de Gdansk. Walesa accueille à bras ouverts ces « professeurs » qui vont devenir ses conseillers.

Quelques jours plus tard, les chantiers reçoivent aussi la visite du cinéaste Andrzej Wajda, qui a réalisé un grand film sur les révoltes sociales dans son pays : L'homme de marbre (1977). Il va tirer des événements un nouveau film : L'homme de fer (1981) et concluera sa trilogie avec le portrait de Walesa : L'homme du peuple (2014).

Face à la répression, la grève s'étend dans tout le pays, menacé de complète paralysie. Le 30 août, les représentants du gouvernement et ceux des grévistes se réunissent pour examiner les 21 revendications du MKS. De lassitude, le ministre Jagielski répond par un laconique « J’accepte, je signe » à chacune des revendications.

Le lendemain dimanche 31 août 1980, Lech Walesa triomphe en obtenant aussi la libération de tous les camarades incarcérés. Enfin sont signés à 17 heures, devant les caméras de télévision, les accords qui prévoient en particulier la création d'un syndicat indépendant et libre, Solidarnosc.

Après la séance officielle, l'ouvrier électricien se précipite au-devant de la foule de ses camarades. Il grimpe sur les grilles et brandit le gros stylo coloré avec lequel il a apposé sa signature. Il s'agit d'un gadget comme on en voit dans les boutiques de souvenirs du Vatican, avec le portrait du pape polonais. Lech Walesa, profondément catholique, veut par là signifier que le Souverain Pontife a guidé son bras et inspiré les accords.

Lech Walesa brandit le stylo à l'effigie du pape avec lequel il vient de signer les accords de Gdansk (1980)

Un triomphe fragile

Dès le 24 août 1980, le Premier ministre Edward Babiuch, sans véritable pouvoir, a dû laisser sa place à l'économiste Josef Pinkowski. Le chef du Parti Edward Gierek doit se retirer à son tour le 5 septembre suivant, officiellement pour raison de santé comme son prédécesseur. Il est remplacé par un homme d'appareil effacé, Stanislaw Kania.

Le 18 septembre 1980, les délégués de l'ensemble des syndicats libres constituaient une instance fédérale aussitôt baptisée Solidarnosc et présidée par Lech Walesa. Son logo allait faire le tour du monde. Elle réunit un total de dix millions de militants (sur 38 millions de Polonais) et obtient le 9 novembre 1980 la reconnaissance du gouvernement.

Oriana Fallaci et Lech Walesa (22 février 1981), DRLes 22 et 23 février 1981, la journaliste italienne Oriana Fallaci rencontre Lech Walesa dans son appartement de Varsovie pour le Corriere della Sera. L'échange est franc et parfois brutal. Il va fournir à Wajda la trame de son  film, L'homme du peuple.

Parlant de sa femme Danuta, Lech Walesa minaude : « Nous avons six enfants. Est-ce que cela ne montre pas que nous faisons bien l'amour ? Beaucoup et souvent ».

Mais ce triomphe fragile allait très vite engendrer de nouvelles tensions avec le pouvoir, jusqu'à déboucher sur l'« état de guerre », autrement dit la loi martiale.

Publié ou mis à jour le : 2021-06-19 17:37:14

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